La coopération transfrontalière en Europe émerge dans les années 1960, dans le cadre de jumelages entre municipalités et sur la toile de fond marqué par la construction de la Communauté économique européenne (CEE). Elle se développera sous l’impulsion du Conseil de l’Europe – qui promouvra les relations de bon voisinage entre les autorités locales des États concernés, et de la CEE – qui mettra en place un système d’accords de coopération transfrontalière entre les pays communautaires, ainsi qu’avec les pays voisins.
La convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière entre collectivités ou autorités territoriales (la « Convention de Madrid ») a été signée par les États membres du Conseil de l’Europe le 25 mai 1980. Son texte a été renforcé par deux protocoles additionnels dédiés à la coopération transfrontalière (en 1995) et interterritoriale (en 1998).
L’Union européenne, à travers l’Acte unique (1986), les traités de Maastricht (1992) et d’Amsterdam (1997), a engendré des nouvelles dynamiques pour le États membres. L’institution du marché unique, l’abolition des frontières douanières nationales (et la libre circulation des personnes, biens, services et capitaux) ont été assorties de l’accroissement notable des compétences communautaires dans les domaines de la concurrence, de la monnaie unique, de l’environnement, ainsi que de l’amplification des initiatives de coopération interrégionale. C’est ainsi que prennent corps la politique de cohésion et les programmes de coopération territoriale (INTERREG). Aussi, dans la mise en place des fonds structurels, la coopération territoriale s’avère un pilier essentiel de la politique de cohésion communautaire. Dès lors, elle renforce les dynamiques de coopération transfrontalière telles que mises en place au sein de la Grande Région, mais les amplifie considérablement tant sur le plan organisationnel que budgétaire.
Aperçu historique et institutionnel de la Grande Région
Les liens historiques et économiques entre les mines de charbon et les aciéries de la Sarre, de la Lorraine et du Luxembourg avaient progressivement conduit, depuis le XVIIIe siècle, à la création d’une région économique unifiée.
En début des années 1970, sous l’impact de la crise sidérurgique qui sévit à l’époque, sont créées les premières commissions officielles gouvernementales, d’abord entre la France et l’Allemagne (1970), puis avec le Luxembourg (1971), qui aboutissant finalement à la mise en place de la Commission régionale Sarre-Lorraine-Luxembourg-Rhénanie-Palatinat. Pour affronter ensemble les graves problèmes socio-économiques résultant de la crise dans le « triangle sidérurgique », les partenaires entament des pourparlers informels propre à pour trouver des synergies.
Ainsi, le 16 octobre 1980 est signé à Bonn (Allemagne) - par le ministre des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne et par les ambassadeurs de France et du Luxembourg – l’Accord relatif à la coopération intergouvernementale dans les régions frontalières. C’est la naissance de la région Saar-Lor-Lux. Elle deviendra par la suite la Grande Région - un groupement européen de coopération territoriale qui offrira un cadre institutionnel avancé pour l’approfondissement progressif de la coopération économique, culturelle et politique entre les différentes régions, ainsi que pour l’intégration européenne.
En 1986, le Conseil Parlementaire Interrégional (CPI) s’avère la première initiative européenne du genre. Les députés sarrois et rhénan-palatins, belges, luxembourgeois et les conseillers régionaux de Lorraine, se réunissent et travaillent au sein CPI. Les parlements de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Communauté germanophone de Belgique font désormais partie de la délégation belge siégeant au Conseil. Les membres du CPI se réunissent deux fois par an en séance plénière pour discuter de sujets en relation avec la coopération transfrontalière et pour adopter des recommandations qui lui sont soumises par les commissions de travail et qui seront communiquées aux exécutifs de la Grande-Région, aux gouvernements des Etats d’appartenance et aux instances européennes. La présidence du CPI est assurée à tour de rôle par chacune des assemblées membres.
En 1995 se tient le premier Sommet de la Grande Région (accueilli par le Luxembourg), qui sera institutionnalisé comme cadre permanent de la réunion des chefs des Exécutifs pour la mise en place des politiques communes et pour donner les grandes impulsions de la coopération grande-régionale. Entre 1995 et 2010, chacun des partenaires a pris successivement la présidence pour un mandat tournant d’une durée de douze puis de dix- huit mois. La continuité des travaux effectués en commun et les nouvelles mesures adoptées au cours de ces sommets ont permis de faire progresser la construction de la Grande Région, de surmonter les barrières que sont les frontières intérieures et d’impacter de manière déterminante le quotidien des citoyens concernés. Notons le sommet extraordinaire de la Grande Région du 20 avril 2011, consacré à la sécurité énergétique nucléaire, dont les débats ont porté sur l’usine nucléaire de Cattenom (en Lorraine) – un sujet récurrent.
Depuis le 1er janvier 2017, la Présidence du Sommet de la Grande Région est exercée par le Luxembourg. L’accent de cette la présidence sera donné, à l’instar de ses Présidences du Conseil de l’UE et de l’Union Benelux, à la participation citoyenne, et notamment de la jeunesse, comme véritable force motrice de de la Grande Région.
Pour assurer une mission de conseil auprès du Sommet des Exécutifs, un Comité Economique Social de la Grande Région (CESGR), qui réunit les partenaires sociaux, prend forme en 1997. Dès 1999, un bureau commun Luxembourg-Rhénanie-Palatinat-Sarre est implanté au Grand-Duché. La même année est ouverte la Maison de la Grande Région (MGR) (implantée au Luxembourg) - point de contact pour les citoyens, pour les administrations nationales ou régionales, ainsi que pour les différentes institutions interrégionales. En 2014, est créé un Secrétariat permanent, basé au Luxembourg, qui permet l’amélioration du suivi des projets et de la gouvernance des travaux du Sommet et assure la coordination avec le CESGR et le CPI.
Il est à remarquer que les institutions de la Grande Région ont peu de poids, étant plutôt dotées de compétences consultatives que décisionnelles.
Les questions communales incombent aux structures mises en place par les agglomérations transfrontalières, aux réseaux de ville tels que Quattro Pole (crée en 2000) et Tonicités et via l’association des communes de la Grande Région Euregio SarLorLux (1995). Les vecteurs de ces collaborations sont constitués par la gestion urbaine, l'environnement, l’énergie, la promotion culturelle et touristique, l'amélioration des infrastructures de télécommunication et les nouveaux médias. Dans ce cadre, notons particulièrement l’initiative urbanistique et d’aménagement « Alzette-Belval » (2012) - aire urbaine transfrontalière franco-luxembourgeoise, qui porte sur la reconversion d’une friche sidérurgique en pôle tertiaire, doté d'une gouvernance transfrontalière propre. L’installation de l’Université du Luxembourg et des différentes structures de recherche et d’innovation sur l’ancien site industriel de Belval fut un défi majeur, mais couronné de succès, et le projet « Esch-sur-Alzette, capitale culturelle européenne, 2022 » sera à même de donner à ce processus un essor particulier.
La Grande Région se dessine actuellement comme un espace de coopération transfrontalière entre des régions institutionnelles qui regroupent quatre États membres de l’UE. Ces entités régionales sont pour l’Allemagne - les Länder de Sarre et de Rhénanie-Palatinat ; pour la France - la Région de Lorraine ; pour la Belgique - la Région wallonne ainsi que les Communautés française et germanophone et pour le Grand-Duché du Luxembourg - l’entièreté du territoire national. L’originalité de cette coopération est donnée par la présence, dans cette constellation, de deux États fédéralisés – l’Allemagne et la Belgique avec des composantes régionales à fortes compétences gouvernementales et législatives et de deux États unitaires - le Luxembourg et la France avec, chacun, des spécificités régionales différentes. Le Grand-Duché endosse un rôle particulier, non seulement par sa position centrale et son importance économique, mais aussi parce qu’il est le seul État parmi les membres de la coopération interrégionale.
Ce vaste espace transfrontalier s’articule autour de la localité luxembourgeoise Schengen, où le 14 juin 1985 furent signés les accords éponymes, par lesquels les pays du « groupe Schengen » (Benelux, l’Allemagne et la France) se sont engagés à parvenir à une suppression graduelle des contrôles à leurs frontières communes. Depuis le traité d'Amsterdam (1997), les accords de Schengen et leur convention d'application sont devenus parties intégrantes des politiques communes de l'UE au même titre que la politique agricole commune ou l'euro.
Le multilinguisme et la culture – clés de la réussite
Le multilinguisme s’est avérée la clé de la réussite, car elle favorise la mobilité et augmente les perspectives économiques de la Grande Région. Aussi, la culture et l’enseignement se profilent de longue date comme des domaines privilégiés de coopération. Le 9 octobre 1998 a été signé la Charte de coopération culturelle de la Région Saar-Lor-Lux-Trèves / Palatinat Occidental, avec l’objectif d’aboutir à une prise de conscience par la population de son appartenance à une culture commune. La convivialité et l’échange au-delà des barrières linguistiques et le dialogue citoyen sont au cœur des projets développés ces dernières années comme c’est le cas d’« Urban Art ». Initié par la « Kulturfabrik » (Luxembourg), il combine les enjeux artistiques et pédagogiques via une série d’actions visant à développer la cohésion sociale et dynamiser l’espace urbain au niveau de la Grande Région.
En 2007 s’est déroulé l’année culturelle « Luxembourg et Grande Région, Capitale européenne de la culture 2007 » suite à laquelle ont été créées des structures de collaboration comme l’« Espace Culturel Grande Région» et le site « Plurio.net ». Y est associée la région de Sibiu (Roumanie), liée à la Grande-Région par bon nombre d’affinités linguistiques et culturelles. Notons que plus de vingt sites de la Grande Région font partie du patrimoine mondial de l’UNESCO, ce qui apporte de nouvelles pistes de coopération et d’actions communes.
En 2007 est inauguré le Lycée germano-luxembourgeois Schengen, à Perl, qui accueille actuellement 900 élèves des deux pays. Le projet d’un lycée binational franco-luxembourgeois, implantée à Dudelange, est en voie de concrétisation. En 2008 voit le jour l’Université de la Grande Région (UniGR), cofinancée par l’UE dans le cadre du programme INTERREGIO et bénéficiant du soutien des six partenaires - Universités de Kaiserslautern, de Liège, de Lorraine, du Luxembourg, de Sarre et de Trèves . L’UniGR s’est fixé pour objectif de faire figure de modèle en Europe et à l’échelle internationale en participant activement à la mise en place d’un espace commun multilingue d’enseignement supérieur et de recherche. Les priorités définies pour une recherche et un enseignement d’excellence au sein du groupement sont aussi bien orientées vers la visibilité et donc la compétitivité internationale que vers la stratégie de développement de l’espace grand-régional. Jusqu’en 2015, l’Université du Luxembourg a assuré la présidence de l’UniGR.
Le Cercle Européen Pierre Werner – un cadre de réflexion pour l’avenir de la Grande Région
Pierre Werner, Premier Ministre du Grand-Duché de Luxembourg (1959-1974 et 1978-1984) fut un des premiers hommes politiques à avoir encouragé la coopération transfrontalière au sein de la Grande Région. Signataire, en 1971, des accords mettant en place la Commission régionale Sarre-Lorraine-Luxembourg-Rhénanie-Palatinat, il considère que l’espace transfrontalier peut jouer le rôle de vivier d’idées et d’engagements citoyens en faveur des pays de la région, mais surtout, de l’Europe unie.
Dans cet esprit, en 1979, Pierre Werner, Premier ministre (Luxembourg) et Charles-Ferdinand Nothomb, président de la Chambre des Représentants (Belgique) – tous deux candidats aux premières élections européennes au suffrage universel - décident de mener une campagne conjointe pour les deux Luxembourg. Émerge ainsi la perspective d’un club de débats citoyens sur des problématiques frontalières dans un contexte européen, qui voit le jour le 7 février 1987 à Pétange sous le nom de « Cercle européen Perspectives et Réalités frontalières ». Aux côtés des deux personnalités précitées, parmi les membres fondateurs comptent Jacques Santer, Joseph Michel, Robert Conrotte, Léo Kauten, Paul Jadot, André Thill, Léon Zeiches et René Putzeys. Lors du discours d’inauguration, Pierre Werner soulignait que
Le Cercle est convaincu qu’une réflexion au sujet de nouvelles synergies dans le développement des deux territoires s’impose en vue des possibilités qu’ouvre l’unification progressive de l’Europe et dans les perspectives de restructuration économique de l’espace géographique plus large dans lequel les deux Luxembourg se trouvent situés.
Depuis sa création, le Cercle s’est penché sur un grand éventail de sujets d’intérêt transfrontalier et européen, dont notamment des questions historiques (« La Belgique et le Luxembourg, une communauté de destins de 1830 à nos jours »), les problèmes sociaux et des soins de santé, la coopération judiciaire et policière transfrontalière, la politique énergétique et de la gestion des déchets, les défis de l’enseignement supérieur et de la recherche dans les 2 Luxembourg, ou la coopération du Grand-Duché, de la Province de Luxembourg et de la Communauté germanophone dans la Grande Région. En 2002, en hommage à son co-président fondateur, cette association est dénommée « Le Cercle Européen Pierre Werner ».
Le 30e anniversaire de la création du Cercle Européen Pierre Werner a été marquée par une manifestation qui s’est déroulée le 22 mars 2018 dans l’auditoire Jean Krier de la Banque Internationale à Luxembourg (BIL).
Organisée par le Cercle, le Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History de l’Université de Luxembourg (C²DH) et leurs partenaires – dont la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg, le Parlement européen, l’Ambassade de Belgique à Luxembourg, l’Institut Pierre Werner de Luxembourg, la Province de Luxembourg et la Région Wallonie (Belgique) - cette soirée a été placée sous le haut patronage de la Ministre à la Grande Région et du Ministre des Finances Du Grand-Duché de Luxembourg.
Après le mot de bienvenue prononcé par M. Hugues Delcourt, Administrateur-délégué et Président du Comité de direction de la BIL et l’allocution d’ouverture de M. Charles-Ferdinand Nothomb, Ministre d’État de Belgique, membre et co-président du Cercle, M. Christian Moïs, historien, a évoqué les activités déroulées par le Cercle trente ans durant. Mme Corinne Cahen, Ministre à la Grande Région, a adressé aux participants un message audiovisuel, dans lequel elle a mis en avant les priorités de la présidence du Sommet de la Grande Région que le Grand-Duché exerce actuellement, dans un contexte européen émaillé par des défis majeurs (le Brexit, la montée des populismes, la crise des réfugiés). L’orateur-invité de la soirée a été M. Pierre Gramegna, Ministre des Finances, qui a donné la conférence intitulée « La place financière du Luxembourg, moteur de la Grande Région » et s’est prêté, à la fin de son intervention, à une session de questions-réponses avec le public, qui a donné lieu à un débat animé. Après le mot de clôture de M Daniel Hussin, Président du Cercle, la manifestation a été clôturée par l’hymne européen.
La manifestation du 30e anniversaire du Cercle Européen Pierre Werner a été honorée par plus de 150 personnes provenant des milieux académique, culturel, financier, politique et associatif de la Grande-Région, dont notamment les membres de la famille de Pierre Werner, le Président du Conseil d’État (Luxembourg), le Gouverneur de la Province Luxembourg (Belgique), le Ministre à la Grande Région de la Wallonie (Belgique), des députés luxembourgeois et européens, des hauts dirigeants des institutions européennes siégeant au Luxembourg, des ambassadeurs, attachés culturels et autres membres du corps diplomatique accrédité au Luxembourg, ainsi qu’en Allemagne, en France et en Belgique, des représentants des médias de la Grande Région.