Le 30 janvier 2013, George Kusunoki Miller, un étudiant australo-japonais résidant aux États-Unis, publie une vidéo où il danse dans sa chambre sur une musique de DJ Baauer accompagné de trois amis vêtus de combinaisons zentai. Trois jours plus tard, un collectif de skateboarders australiens répond à cette publication en imitant la vidéo et y ajoutant une construction en deux temps : un personnage casqué danse seul dans un environnement où les autres sont absorbés par des tâches quotidiennes, et lorsque la musique s’intensifie, tout le monde se trouve subitement déguisé et emporté en une transe intense. La vidéo devient virale au cours du mois de février 2013, elle est remixée et rejouée par des milliers de personnes, et ce largement au-delà de l’Australie, et notamment en France.
Ce phénomène viral est devenu une référence pour en décrire d’autres. Il présente à lui seul une mise en abyme de la contagion virale (Marino, 2014). Il combine des caractéristiques telles que la dimension mondiale, transculturelle et translinguistique, des circulations trans-plateformes, ainsi qu’un caractère démesuré et éphémère à la fois. Dans le cadre du projet Hivi, dédié à l’histoire de la viralité en ligne et du projet BUZZ-F, plus particulièrement consacré aux phénomènes viraux en France, mené avec le soutien du BnF Datalab sur l’année académique 2021-2022, il a servi d’exemple saillant de viralité et d’étude de cas pour analyser sa préservation et sa recherchabilité dans les archives du Web.
Ce cas d’étude présente en effet au regard de l’archivage du Web plusieurs enjeux intéressants :
- d’abord sa date de démarrage, en 2013, à une période où l’archivage des réseaux sociaux-numériques et des plateformes vidéos est moins développé qu’aujourd’hui (outre que le Harlem Shake se déploie notamment sur YouTube, mais la plateforme n’est pas encore en position dominante et se voit concurrencer par d’autres plateformes de vidéos ou par la création de sites dédiés à ce phénomène Internet)
- sa représentation dans les archives du Web, de la BnF comme de l’Ina, dont il convient de déterminer les formes numériques archivées (contenus html et vidéos, traces sous forme de liens)
- l’absence de recherchabilité en plein texte sur cette période dans la collecte large des archives de la BnF. L’écho du phénomène est par contre immédiatement palpable dans la presse nationale comme régionale, accessible via la collecte BnF de la presse en ligne. Son interrogation révèle la présence dans les archives de multicaptures ou doublons, qui peuvent éventuellement être des marqueurs de la viralité
- la nécessité d’articuler lecture qualitative et quantitative pour saisir le phénomène dans sa complexité (participants, audience (Ashon, 2013), circulation (Jenkins, 2009), usages (Soha et Zachary, 2016), etc.)
- son insertion dans une tradition des vidéos de performances collectives, qui invitait à se pencher par exemple sur des phénomènes viraux plus anciens comme le lipdub.
Cette présentation est revenue sur le travail commun mené pour identifier le Harlem Shake au sein des archives de la BnF, identifier, créer et documenter des jeux de données utiles et représentatifs, les contextualiser, en proposer des visualisations. Elle éclaire les apports mais aussi les biais et limites identifiés, les stratégies de recherche mises en place (via les URL, le calcul de la viralité à partir des doublons représentant des valeurs extrêmes et ses difficultés d’interprétation, etc.). Elle envisage les perspectives ouvertes pour la recherche mais aussi pour l’archivage du Web (notamment en terme d’indexation de la page web entière plutôt que du seul texte, de repérage des vidéos disparues du web vivant, de dédoublonnage, etc.).
Cette communication, présentée par Alexandre Faye et Fred Pailler, articule plusieurs aspects de l’appel à communication : présentations de projets scientifiques mobilisant les corpus web et les humanités numériques ; présentations de retours d’expérience de projets de recherche utilisant le web comme source : obstacles rencontrés, “success stories” ; présentation d’expérimentations et de dispositifs favorisant l’accès aux archives numériques et aux corpus web. Elle est à l’intersection des axes 2 (Politiques, pratiques et techniques archivistiques et archives web : du document aux corpus) et 3 (Relations entre dispositif technique et données scientifiques : l’archive web en réseau).
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